Ath3na *
Aolie marchait doucement dans la forêt -sa forêt, bien sûr, était-il seulement besoin de le préciser ?- profitant simplement de la fraîcheur de l'air et du soleil qui perçait à travers le feuillage épais des arbres, quand elle entendit les voix. Un peu effrayées, perdues, sans doute. Elle eut un profond soupir. Et voilà, ça recommençait.
Elle était arrivée à Eel quelques années plus tôt. Elle avait tout juste dix-huit ans à l'époque, et elle avait alors déjà un caractère pour le moins marqué. Explosive, elle aurait sans doute mené Eel à la révolte si Miiko et elle n'étaient pas arrivées à un autre arrangement.
En effet, la jeune femme avait exprimé, plutôt vite, les caractères d'une dryade. En temps que telle, par exemple, des bois avaient poussé sur sa tête. Elle était devenue capable d'entendre la voix des arbres et de la nature, même si beaucoup la croyaient folle, et bientôt elle avait largement préféré leur proximité à celle des humains.
Alors Miiko, qui avait justement un poste de Gardienne dans une forêt très éloignée, lui avait proposé de s'en occuper.
Aolie avait à peine hésité. Une maison isolée, loin de tout, enfin en paix ? Elle avait sauté sur l'occasion, et elle adorait cette forêt. En prenant le poste, elle était devenue la Gardienne officielle, toutefois elle occupait également ce poste d'un autre point de vue, bien moins connu par ce qu'on pourrait appeler « le commun des mortels », mais beaucoup plus important à ses yeux. C'était un rôle qu'elle ne voulait pas quitter.
Elle était la représentante des esprits de la forêt.
Elle était capable de le voir, mais ce n'était pas le cas de la plupart des gens. Elle-même était plus ou moins un esprit de la forêt, ou en tout cas elle le deviendrait à sa mort, pensée qu'elle pouvait évoquer paisiblement de ce fait.
Toutefois, pour le moment, elle allait devoir s’occuper de la bande de crét... Hum, des gens qui s'étaient égarés (comme les parfaits imbé... gens qu'ils étaient) dans sa forêt.
Elle sembla sortir de nulle part, et fit sursauter les deux personnes qui erraient depuis longtemps dans ces lieux sans avoir croisé âme qui vive. Le jeune homme, vraisemblablement un grand loup-garou aux cheveux noirs, dégaina vivement une épée :
-Tu es le fantôme ! S'écria-t-il.
Aolie haussa un sourcil. Qu'est-ce que c'était encore que cette histoire ? De plus, le garçon lui semblait vaguement familier, pourquoi...
-Il y a quelques années, Miiko avait confié cet endroit à une dryade, qui est morte de froid pendant l'hiver ! Débita-t-il à toute vitesse. Elle n'a plus jamais donné signe de vie, et maintenant elle erre dans la forêt à la recherche d'âme à dévorer !
Ben voyons, songea la jeune femme, sidérée.
-Erika, c'est ce poste que tu vas devoir occuper, expliqua le garçon en pivotant vers la fille, une jeune femme plutôt jolie aux cheveux longs et aux grands yeux violets.
-On n'avait jamais parlé d'un spectre, murmura-t-elle, l'air hésitante.
-Je ne suis pas morte, dit Aolie avec agacement. Si je ne suis pas rentrée à Eel, c'est que je n'en avais pas envie.
Elle toisa le loup-garou avec surprise.
-Tu es Chrome ? Questionna-t-elle.
Il écarquilla les yeux.
-Tu te souviens de moi ?
-Tu veux dire, est-ce que je me souviens de l'affreux gamin qui courait partout, dans tous les sens, en hurlant ? Hélas oui.
-Oh, fit-il en rangeant son épée. Bon, alors on a sûrement fait le voyage pour rien.
-Exact, dit Aolie. Je vous offre le gîte et le couvert pour cette nuit, et demain matin, je vous guiderai jusqu'à la lisière de la forêt.
Sans rien ajouter, elle leur tourna le dos et se dirigea vers sa maison. Ils la suivirent, discrètement pour des standards humains, mais très bruyamment pour une dryade. Après une nuit sans histoire, effectivement, Chrome et la faelienne repartirent vers Miiko.
Ils lui annoncèrent qu'Aolie était bien vivante, qu'elle allait très bien, et qu'elle tenait à sa solitude.
Pendant ce temps, la dryade, apaisée par leur départ, s'asseyait sous un grand chêne. Elle devinait la conversation qui se jouait à des kilomètres d'elle, les mimiques de Miiko, ses cris, et peut-être les rires de Nevra, Ezarel et Valkyon. Et, pour la première fois au cours de la décennie qu'elle avait passé loin d'eux, une pointe de nostalgie perça dans son cœur.
Elle ferma les yeux pour évoquer leurs visages, et ils apparurent facilement, toujours très nets dans son esprit.
Elle comprit que cela lui suffisait amplement.
Elle ne voulait pas retourner à Eel.