Sunday34 *
Sew-Chan avait presque fini sa potion, lorsqu'Ezarel et EweleÏn entrèrent dans la pièce. Les deux vieux amis riaient joyeusement, et n'avaient encore perçu sa présence. Elle attendait qu'ils la saluent, mais ils ne faisaient rien. Ils continuaient leur discussion, visiblement animée. Sew-Chan d'un naturel jaloux, se sentit vexée. Etait-elle si invisible que cela ? Agacée, elle toussota légèrement, et les deux alchimistes se tournèrent vers elle. Eweleïn lui sourit gaiement, tandis que l'elfe grimaçait.
- Oh bonjour, Sew-Chan ! dit Eweleïn. Je venais justement ici pour te donner ton métissage ! Nous l'avons enfin trouvé !
- Vraiment ? s'étonna la jeune femme, oubliant toute rancune.
- Oui, lui répondit Ezarel, et ma pauvre ! Tu n'es pas gâtée ! ricana-t-il.
Un semblant d'angoisse assaillit la jolie absynthe aux yeux émeraudes. Elle tenta d'ignorer son chef railleur et interrogea la belle infirmière. Un fin sourire s'étira sur ses lèvres pâles, et elle lui révéla sa nature.
Sew-Chan n'en revenait pas ! Cet imbécile d'elfe cynique n'avait pas menti ! Elle était d'une espèce détestable, elle était à moitié humaine et ogresse. Quelle horreur ! La honte la submergeait. Elle qui s'était toujours imaginée avec les plus belles et rares origines, n'était qu'une simple mangeuse d'enfant. Sew-Chan était furieuse ; d'une part parce qu'elle ne supportait cette réalité incroyable, et d'autre part parce qu'elle était fatiguée. Sa journée au début si agréable, avait tourné au cauchemar. Il avait d'abord appris son métissage, puis enduré les tendresses d'Ezarel envers Eweleïn. Entendre les doux compliments de son chef, l'avaient tant agacée qu'elle était subitement sorti de la salle. Elle s'était brièvement excusée et avait claqué la porte.
Elle était désormais dans les jardins. Elle contemplait tristement le coucher de soleil, pensant à ses vieux amis et son monde. Qu'ils lui manquaient par moments ! La jeune femme au sourire éternel, afficha une mine sceptique et déboussolée. Aujourd'hui, elle s'était sentie seule et humiliée. Jusque là, elle avait toujours été de bonne humeur, répondant amicalement et subtilement aux mesquineries d'Ezarel. Elle n'en avait toutefois eu la force aujourd'hui. Elle avait été rongée par la jalousie, et elle ne supportait ce sentiment. Pourquoi fallait-il toujours qu'il préfère Eweleïn à elle ? Ses pensées s'entremêlaient, l'empêchant de réfléchir convenablement.
Fatiguée, Sew-Chan s'allongea dans la verte herbe. Elle ferma doucement les yeux, puis s'endormit.
Lorsqu'elle se réveilla, le ciel était aussi noir que la plumage d'un corbeau. Les premières étoiles constellaient déjà l'immensité sombre, et ses courts cheveux virevoltaient au gré de la brise. Il faisait bon, et ses membres ne voulaient bouger. La possibilité de dormir à la belle étoile, traversait l'esprit de Sew-Chan. L'univers en avait cependant décidé autrement. Ezarel la cherchait depuis qu'elle était partie. D'abord agacé par son manque de professionnalisme, il s'était promis de la réprimander. Mais plus le temps passait, plus l'inquiétude l'avait assailli. Il s'était juré de la retrouver, et même de lui donner ses pots de miel. Ses belles pensées disparurent toutefois quand il aperçut la jeune femme. La colère marqua de nouveau ses traits et il s'exclama :
- Te voilà enfin ! Ça fait trois heures que je te cherche !
Sew-Chan sursauta au son de sa voix. Une lueur d'étonnement, puis de rancune se lit dans ses yeux. Ezarel nota ce changement d'expression et dit :
- Pourquoi es-tu partie ?
- J'avais envie, lui répliqua-t-elle nonchalamment.
- Tu aurais pu te justifier.
- Je n'en avais pas envie, commença-t-elle, marquant une pause. Et puis, je ne voulais surtout pas te déranger avec Eweleïn, ajouta-t-elle, sur un ton ironique, énervé.
L'elfe arrogant fut surpris par le comportement de son amie. L'avait-il blessée par ses remarques ? Non. Ou du moins, il ne le pensait pas. Il savait que la jeune femme le connaissait. Il était comme ça. Il aimait rabaisser les autres pour rire. Bien évidemment, il n'avait jamais réellement un traître mots de ce qu'il disait. Mais peut-être, n'était-ce pas cela ? Peut-être était-elle jalouse d'Eweleïn ? Une pensée amusante lui traversa l'esprit, mais il ne dit rien. Le silence et le sérieux de Sew-Chan l'inquiétaient bien assez. Il n'allait pas envenimé la situation.
- Sew ? demanda-t-il plus gentiment. Tu m'en veux ?
- Non, cracha-t-elle brusquement.
Visiblement si. Décontenancé, il s'assit à ses côtés. Il la regarda de longs instants. Pour la première fois, il la trouva très belle. Bien sur, il l'avait toujours considéré jolie. Mais ce soir, sa tristesse embellissait sa beauté. C'est alors qu'il distingua une larme le long de sa joue. Il la releva instinctivement avec son pouce, puis dit :
- Sew… Tu me connais… Je dis des conneries à longueur de journée. Quoique je t'ai dit, je ne le pensais pas.
- Si tu le pensais.
- De quoi ? l'interrogea-t-il, perplexe.
- Que ça craint d'être un ogre ! éclata Sew-Chan.
Étonné, le garçon écarquilla les yeux, puis ricana. Elle les avait donc cru ! Il rit de plus belle à cette pensée. Quant à Sew, ses joues se coloraient de rage. Elle croyait rêver ! Il était ici pour la réconforter, non la descendre ! Folle de rage, la jeune femme se leva brusquement. Elle s'apprêtait à partir, mais Ezarel la retint.
- Attends, dit-il entre deux rires. On t'a menti.
- Pardon ?
- Tu n'es pas une ogresse. Tu es certes une humaine, mais tu n'es pas un ogre, répéta-t-il.
Sew-Chan ne comprit dans l'immédiat l'information. Ce n'est qu'une minute plus tard, qu'elle s'exclama :
- Mais que suis-je alors ?
- Tu es aussi à moitié elfe, lui répondit-il. Il aurait voulu ajouter qu'il n'en avait cru ses oreilles lorsqu'il l'avait appris, mais il s'abstint. La jeune absynthe était déjà bien assez de mauvaise humeur. En revanche, il guetta sa réaction. A sa plus grande stupéfaction, Sew-Chan ne dit mot. Ses joues se tintèrent étonnement de rose, et elle ne put s'empêcher de sourire. Elle était donc comme Ezarel ! Ou du moins presque ! Oh qu'elle était heureuse à cet instant !
- Je suis vraiment comme toi ? s'assura-t-elle.
- Oui, mais en moins intelligente ! se moqua-t-il.
Sew-Chan sourit à la plaisanterie, tout en le bousculant. Ezarel lui rendit gentiment la pareille, et ils rentrèrent au quartier général. La jeune femme était de nouveau contente, tandis que l'elfe était serein. Mais alors qu'ils marchaient dans l'avenue des Arches, Ezarel la contemplait d'un air perplexe. Comment, une telle gamine, avait-elle pu conquérir son cœur ?